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La baleine dans la littérature

De siècle en siècle, de génération en génération, les hommes se sont transmis oralement une multitude de mythes et de légendes dont bon nombre portait sur le monde de la mer et de ses abysses. Parmi toutes ces histoires anciennes, certaines ont disparu, perdues à jamais dans les méandres de l’oubli ; d’autres au contraire ont évolué pour donner naissance à d’autres fables ou tout simplement à des croyances qui perdurent encore de nos jours.
Au fil du temps, la tradition orale s’est vue remplacée par celle de l’écrit. Les épopées d’antan sont alors devenues des contes ou des histoires que l’on se mit à lire aux enfants, le soir au coin du feu…

Sinbad le marin

Faisant partie des contes des « Mille et Une Nuit », Sinbad le Marin
est l’illustration même de la transition de la tradition orale à celle
écrite. En effet transmis par voie orale de l’Inde à l’Iran, puis au
monde arabe, ces contes ont probablement été mis par écrit aux alentours
du XIIIème siècle et sont le résultat de la fusion de nombreuses
traditions appartenant au registre populaire.

Dans ce conte arabe, Sinbad décrit les pays où au cours de ses voyages, il découvrit les épices.

C’est d’ailleurs lors de son premier périple qu’il rencontra une baleine gigantesque.

Inconscient qu’il s’agissait là d’un mammifère marin, l’équipage aborde ce qu’il croit être une île paradisiaque, l’explore, y allume même un feu ! Mais subitement la terre se met à trembler… Conscient alors de leur méprise, les hommes se hâtent de retourner au navire mais malheureusement, bon nombre d’entre eux meurent, engloutis par les flots. Sinbad abandonné à son sort ne doit son salut qu’à un bout de bois qui le porte jusqu’à terre (7)

Là encore, le conte fait écho avec les superstitions populaires qui entourent la baleine. A l’instar de la légende de Saint Bredan ou de celles Irlandaises citées plus haut, ce cétacé figure comme un animal maléfique, perfide qui se plait à tromper les navigateurs afin de les noyer ou de les dévorer ! ! !

The stories for Arabian Nights Entertainments were published by “Longmans, Green, and Co., London, in 1898, by Andrew Lang (1844-1912). The Color Illustrations are by Rene Bull (1870-1946) the lager Black & white images are by Henry Justice Ford (1872-1941)


Pinnocchio de Carlo Collodi (1881)

Autre conte qui a également marqué la littérature : celui de Pinocchio !

Qui n’a jamais entendu parler de l’histoire de ce petit pantin de
bois devenu miraculeusement un petit garçon fait de chair et d’os ?

Oui, certes … tout le monde connaît ce conte mais quel lien peut-il bien y avoir entre Pinocchio et le monde des baleines ?

Rappelez-vous…

Après maintes péripéties et bêtises, Pinocchio qui s’est transformé en âne, s’aperçoit de la disparition de son père adoptif, le vieux Gepetto. En effet, ce dernier, inquiet de la disparition du petit pantin, s’est aventuré en mer afin de le retrouver. Sensible à l’amour immense que lui porte Gepetto, Pinocchio embarque lui aussi sur les flots afin de le rejoindre… Et c’est durant ce voyage initiatique qu’il va rencontrer “Monstro”.

Selon les versions, il s’agit d’une baleine, d’un gros poisson voir même d’un requin… Dans tous les cas, l’enfant terrible rencontre Monstro qui l’avale aussitôt ! Et là, ô miracle, Pinocchio retrouve son père dans l’antre de la baleine. Après d’heureuses retrouvailles, Pinocchio met en place un stratagème afin que Monstro les recrache. Le pari est tenu et enfin libérés, Gepetto et Pinocchio se retrouvent unis tels que doivent l’être un père et un fils !

Maintenant, si l’on regarde d’un peu plus près ce conte, ne pourrait-on dire qu’il s’agit là d’une version plus moderne de l’épisode de « Jonas et la baleine » ?

La encore, la baleine joue son rôle de “passeur”. Elle est à la fois le symbole de la mort du pantin de bois et celui de la naissance du petit garçon. Elle est la mère-matrice qui permet le passage d’un état à un autre et son ventre n’est autre que la caverne où à lieu la transformation du pantin. Une fois de plus, la baleine symbolise la résurrection !

Est-ce que l’auteur de ce conte, Carlo Collodi, voulait une telle interprétation ? ? ? Difficile à dire… Cela étant dit, en insérant la baleine “Monstro” dans le déroulement de l’histoire, Carlo Collodi a implicitement fait référence à l’épisode de l’ancien testament.

D’ailleurs, en étudiant un tant soit peu ce conte, on s’aperçoit que Pinocchio n’est autre qu’un garnement aux prises avec les défauts les plus humains : l’égoïsme, la cupidité, la gourmandise, la paresse, l’orgueil…… Seule une réelle prise de conscience, une “résurrection”, en fait un bon petit garçon.

Dans ce cas précis, la baleine joue un rôle prépondérant !

(…)

Or moi, je fus du nombre de ceux qui furent abandonnés sur cette baleine-là et furent noyés ! Mais Allah Très-Haut me sauvegarda et me délivra de la noyade (…) »



Mobby Dick de Herman Melville.(1851)

…ou l’histoire de Mocha Dick…

Le roman “Mobby Dick or The Whale” peut se lire comme une simple histoire de marin…, comme un documentaire sur la chasse à la baleine ou au cachalot…, comme une étude sociologique de l’époque Victorienne… ou encore comme un drame shakespearien où les thèmes de la démesure, de l’orgueil et de la démence cohabitent et s’enchevêtrent.

On pourrait aussi faire une analyse complète du roman, depuis le nom biblique du narrateur, le jeune Ismaël, jusqu’à l’âme tourmentée du capitaine Achab en passant par Srarbuck, le premier maître d’équipage mais l’étude nous éloignerait trop du sujet qui nous occupe, à savoir : La baleine !


Mobby Dick, cachalot ou baleine ?

Comme nous avons déjà pu le constater à travers Jonas et la Baleine, Pinocchio, “les gros poissons” et “les monstres marins” des histoires ancestrales, il y a souvent eu un amalgame ou du moins une confusion entre les différentes espèces…

Mobby Dick n’a pas échappé à cette règle et c’est ainsi que l’énorme cachalot blanc s’est vite vu devenir une baleine féroce et dangereuse ! Une fois encore l’imaginaire collectif a fait son œuvre alimenté par des faits divers !


Mocha Dick : la naissance d’un mythe !

La légende prend ses marques le 20 novembre 1820 avec le naufrage dramatique du baleinier l’Essex. Ce jour là, le navire qui comprend un équipage de 21 hommes prend en chasse un groupe de cachalots. Rapidement 3 baleinières sont mises à l’eau. Alors que tout l’équipage se prépare à harponner, un énorme cachalot de 25 mètres attaque à lui seul le navire resté en panne. Le choc est tel que le baleinier endommagé prend l’eau !
Abandonnant aussitôt la chasse, les canots retournent au navire… Peine perdue : juste le temps d’amasser quelques vivres et matériels de navigation… et le bâtiment sombre. Perdus au milieu de l’océan Pacifique, les 3 canots auxquels les hommes ont mis mât et voile de fortune voguent tant bien que mal vers le sud. Après avoir fait une escale de 7 jours sur une île inhabitée et hostile (probablement celle d’Henderson), 17 hommes reprennent la mer avec pour but de rallier l’île de Pâques.

Nous sommes début janvier 1821. Le mauvais temps s’en mêle, les baleinières dérivent et se perdent de vue. Les vivres manquent et les premiers décès sont à déplorer de part et d’autre. Le 20 janvier, affaiblis, affamés et assoiffés, les survivants font leur premier acte de cannibalisme.( De ce que l’on sait, il y en aura 8 au total. )

Sur l’ensemble des 21 membres d’équipage, il n’y eut que 8 rescapés récupérés par des navires de passage entre février et avril 1821.

On imagine sans mal le choc qu’a du provoquer l’histoire de ce naufrage ! Cette fois-ci, le cachalot (ou la baleine selon les versions) n’a dévoré personne mais a été la cause de cannibalisme ! ! ! !

Des articles de journaux font référence à l’existence d’un énorme cétacé blanc:

Le premier est un écrit de J.N. Reynolds intitulé Mocha Dick or The White Whale of the Pacific dans lequel l’auteur évoque l’existence d’un cachalot mâle* qui fréquentait les eaux de l’île de Mocha au sud du Chili. S’appuyant sur divers témoignages, il fait la synthèse des différentes tentatives d’harponnage qu’a subi l’animal (selon certains décomptes, plus d’une centaine !) avant qu’il ne soit finalement tué.

Chassé certainement dés les années 1810, Mocha Dick aurait donc survécu à plusieurs harponnages. Rapidement devenu célèbre parmi les baleiniers, sa puissance et sa férocité en firent une légende pour bon nombre de capitaines qui partirent le chasser après avoir contourné le Cap Horn !

*Notons l’ambiguïté du titre qui bien sûr entraîne une confusion entre bélouga (white Whale) baleine (Whale) et cachalot (Sperm Whale)!

Le deuxième écrit est un article publié en 1839 dans le Knickerbocker’s Magazine qui relate l’histoire d’un cétacé blanc (cachalot, baleine ? ?) qui, après avoir reçu 19 harpons, aurait causé la perte de 30 marins, 5 baleinières et 14 canots ! De quoi faire frémir les âmes sensibles…

Illustration from an early edition of Moby-Dick. A. Burnham Shute
Croquis de Thomas Nickerson attaquant un cachalot le 20 novembre 1820 sur l’ Essex.


Jules Verne

Lui aussi fait référence au monde des baleines dans son roman Vingt Mille Lieues sous les Mers (Chapitre 36 : Cachalots et Baleines).

Par la bouche de ses personnages, notamment du naturaliste français Aronnax et du capitaine Némo, il explique que les baleines sont “des êtres inoffensifs et bons”, qu’elles appartiennent à différentes familles et qu’elles sont localisées en divers endroits en fonction de leur espèce. Tout en faisant dialoguer ses personnages à bord du Nautilus, Jules Verne évoque les légendes mystérieuses qui nimbent ces mammifères marins, fait référence au naufrage de l’Essex (dans la version de Jules Verne, il s’agissait d’une baleine et non d’un cachalot !) et parle de la chasse à la baleine. Il va même plus loin… Par la bouche du capitaine Némo, il prédit la “chasse à outrance” , “ l’acharnement barbare et inconsidéré des pêcheurs ”qui peu à peu va pousser ces animaux “à se réfugier dans des bassins de hautes latitudes” et “fera disparaître la dernière baleine de l’Océan ”(8)

L’analyse est toute autre pour le cachalot …

“Ce sont des cachalots, animaux terribles que j’ai quelquefois rencontrés par troupes de deux ou trois cents ! Quant à ceux là, bêtes cruelles et malfaisantes, on a raison des les exterminer.”


Walt Disney

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la baleine a eu aussi sa place à… l’opéra !

En effet, en 1946, Walt Disney Production crée le court-métrage, La Baleine qui voulait chanter au Met, qu’il insère au film d’animation La Boîte à Musique. Véritable chef d’œuvre, ce court-métrage raconte l’histoire de la baleine Willy qui, dotée d’un don qui lui permet de chanter de l’opéra, rêve de se produire un jour dans une salle de concert.

Grâce à l’impresario Tetti Tatti ce rêve impossible se réalise et voici Willy qui se retrouve à chanter au Metropolitain Opera de New York. Pleine d’entrain et de malice (de nombreux gags entourent l’histoire), la baleine devient très vite une véritable vedette, faisant succéder les rôles de Tristan, de Figaro et bien d’autres encore ! C’est le succès assuré…

Et puis un jour, l’histoire bascule dans la tragédie. En effet, croyant que notre cétacé a avalé des chanteurs humains, Tetti Tatti le tue.

Fin Ô combien dramatique pour le pauvre animal qui passe de la célébrité à l’image de la terrible baleine tueuse et mangeuse d’hommes.

Une fois encore, la férocité légendaire de ce cétacé sera la cause de sa perte !


La Poésie

Quelques poèmes lui ont été consacré… à moins que ce ne soient de longues plaintes…


La Baleine

Plaignez- plaignez la baleine
Qui nage à perdre haleine
Et qui nourrit ses petits
De lait froid sans garantie.

La baleine fait son nid
Oui, mais, petit appétit,
Dans le fond des océans
Pour ses nourrissons géants,
Au milieu des coquillages,
Elle dort sous les sillages
Des bateaux, des paquebots
Qui naviguent sur les flots.

Robert Desnos

La Baleine

Quand la baleine
A de la peine
Un grand jet d’eau
Pleure à son dos

Et tant de larmes
Font tel vacarme
Que son chagrin
Soulève un grain

Et sa souffrance
Est si intense
Que ses sanglots
Salent les flots.

Robert Vigneau


La Chanson

Pour terminer cette longue analyse sur le thème « des baleines dans la littérature », un exemple de chanson pour enfant…

En voici les paroles… À chacun de les méditer !

1er couplet

Elle a trouvé beaucoup de choses
Beaucoup de choses
Mais pas de l’eau
Eau H2O

Refrain

La baleine bleue cherche de l’eau
Pour déboucher tous ses tuyaux
La baleine bleue cherche de l’eau
Pour déboucher tous ses tuyaux
Eau, eau, eau, eau H2O

2ème couplet

Elle a trouvé du détergent
Du détergent
Beaucoup de choses
Mais pas de l’eau
Eau H2O

Paroles de Steve Waring, La Baleine Bleue

3ème couplet

Elle a trouvé un pétrolier
Un pétrolier
Du détergent
Beaucoup de choses
Mais pas de l’eau
Eau H2O

4ème couplet

Elle a trouvé du DDT
Du DDT
Un pétrolier
Du détergent
Beaucoup de choses
Mais pas de l’eau
Eau H2O


Conclusion

Que ce soit dans le domaine des croyances ou de la littérature, les baleines sont longtemps restées des êtres mal connus et mal compris des hommes.

Vues comme des monstres pour les uns ou au contraire comme “le passage salvateur ” vers l’au-delà pour les autres, elles sont restées durant des milliers d’années avec leur part de mystère… Ne les prenions nous pas d’ailleurs pour de simples gros poissons encore au début du 18ème siècle ? ? ?

Comment l’homme a-t-il bien pu rester aussi longtemps ignorant et aveugle sur ces mammifères marins alors que déjà au IVème siècle avant JC des savants tels que Strabon, Pline l’Ancien et Aristote les évoquaient déjà avec précision et parlaient avec passion et étonnement de ces animaux gigantesques « qui faisaient bouillonner les abysses comme une chaudière… »?…


Annexes

(7) Sinbad le Marin : cf : Joseph Charles Mardrus, Les Mille et Une Nuits, éd. Robert Laffont, Vol.1, Paris, 1980, p. 696-697.

« Un jour, que nous naviguions depuis plusieurs jours sans voir de terre, nous vîmes émerger de la mer une île qui nous sembla, par sa végétation, quelque merveilleux jardin d’entre les jardins d’Eden. Aussi, le capitaine du navire voulut bien atterrir et, une fois l’ancre jetée et l’échelle abaissée, nous laisser débarquer. Nous descendîmes (…) Moi, je fus du nombre de ceux qui préférèrent se promener et jouir des beautés de la végétation dont ces côtes étaient couvertes, tout en n’oubliant pas de manger et de boire.

Pendant que nous nous délassions de la sorte, nous sentîmes tout à coup l’île trembler dans toute sa masse et nous donner une secousse si rude que nous fûmes projetés à quelques pieds au-dessus du sol. Et, au même moment, nous vîmes apparaître à l’avant du navire le capitaine qui, d’une voix terrible et avec des gestes effrayants, nous cria : « O passagers, sauvez-vous ! Hâtez-vous ! Remontez vite à bord ! Lâchez tout ! Abandonnez vos effets à terre et sauvez vos âmes ! Fuyez l’abîme qui vous attend ! Courez vite ! Car l’île sur laquelle vous vous trouvez n’est point une île ! C’est une baleine gigantesque ! Elle a élu domicile au milieu de cette mer, depuis le temps de l’Antiquité ; et les arbres ont poussé sur son dos, grâce au sable marin ! Vous l’avez réveillée de son sommeil ! Vous avez troublé son repos et dérangé ses sensations en allumant du feu sur son dos ! Et la voici qui bouge ! Sauvez-vous, ou elle va s’enfoncer dans la mer qui vous engloutira sans retour ! Sauvez-vous ! Lâchez tout ! Je m’en vais !

(…)

Or moi, je fus du nombre de ceux qui furent abandonnés sur cette baleine-là et furent noyés ! Mais Allah Très-Haut me sauvegarda et me délivra de la noyade (…) »

(8) Vingt Mille Lieues sous les Mers :« (…) Ici, ce serait tuer pour tuer. Je sais bien que c’est un privilège réservé à l’homme, mais je n’admets pas ces passe-temps meurtriers. En détruisant la baleine australe comme la baleine franche, êtres inoffensifs et bons, vos pareils, maître Land, commettent une action blâmable. C’est ainsi qu’ils ont déjà dépeuplé toute la baie de Baffin, et qu’ils anéantiront une classe d’animaux utiles. Laissez donc tranquilles ces malheureux cétacés. Ils ont bien assez de leurs ennemis naturels, les cachalots, les espadons et les scies, sans que vous vous en mêliez. »